DISCOURS DE M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

A l'occasion de l'hommage rendu
au sergent Thomas ROUSSELLE et au caporal-chef Johan NAGUIN

Vannes - vendredi 11 septembre 2009

Mesdames et Messieurs,

Nous sommes réunis pour un dernier hommage au sergent Thomas ROUSSELLE et au caporal-chef Johan NAGUIN. Ils ont rejoint au champ d'honneur le caporal-chef Antony BODIN, tombé le 1er août dernier.

Une nouvelle fois, le quartier FOCH - DELESTRAINT ouvre ses portes aux sacrifices des marsouins du 3e Régiment d'Infanterie de Marine, à la tristesse de leurs frères d'armes, à la douleur de leurs familles et de leurs proches.

Je me devais d'être à vos côtés aujourd'hui. Pour vous témoigner, au nom de la Nation et en mon nom personnel, la part que je prends à la peine et au chagrin provoqués par la disparition brutale de jeunes hommes qui avaient encore tant de choses à vivre, tant de projets à mener, tant d'affection à donner à leur familles, à leurs amis, à leurs enfants si petits qu'ils n'auront pas eu le temps de connaître, ou si peu.

Je me devais d'être à vos côtés pour vous témoigner aussi l'admiration et la gratitude que nous inspirent leur bravoure et leur sacrifice. Au nom de tous les Français, qu'il me soit permis de vous exprimer notre profond respect, notre compassion et notre solidarité.

Bien sûr, ces mots peuvent sembler peu de choses en de telles circonstances. Bien sûr, ces mots n'apaiseront pas votre douleur. Mais pourtant croyez bien que je vous les dis du fond du coeur, mesurant et assumant les responsabilités qui sont les miennes en tant que chef de l'Etat et chef des Armées. A plusieurs reprises, il m'a fallu par le passé accompagner dans leur dernière demeure des hommes qui avaient choisi de mettre leur vie au service de la France et des Français.

Jamais, malgré les risques auxquels les exposait leur engagement, je ne pourrai me résigner à la fatalité de ces vies brisées et trop tôt interrompues. Jamais, nous ne devrons nous y résigner.

Thomas ROUSSELLE,

Johan NAGUIN,

La mort vous a frappés en pleine jeunesse alors que vous remplissiez votre mission. Une mission, une mission dangereuse, pour laquelle vous vous étiez entraînés durement pendant 6 mois. Cet engagement hors du commun qui est celui du métier des armes, vous l'avez vécu tous les deux jusqu'au bout, jusqu'au don ultime, celui de votre vie.

Vous avez trouvé la mort en ouvrant la route à un convoi entre NIJRAB et BAGRAM. Formés par votre régiment, vous aviez participé à la plupart des engagements récents de la France en opérations extérieures, en Afrique, en Europe centrale ou en Afghanistan.

Le sergent Thomas ROUSSELLE, chef de groupe, avait au cours de 11 années de service et de 8 opérations extérieures acquis une expérience militaire incomparable et sa disponibilité, sa générosité et son dévouement étaient unanimement reconnus.

Le caporal-chef Johan NAGUIN, pilote de véhicule blindé avait démontré au cours de ses 4 années de service des qualités militaires extrêmement prometteuses. Calme réservé, il plaçait le sens du devoir avant toute autre considération.

Nous mesurons tous aujourd'hui ce que peut signifier être un soldat dans les armées françaises. Le statut international de notre pays nous confère des prérogatives importantes. Mais il nous confère aussi des devoirs. Des devoirs, au service de la sécurité du monde, au service de la paix, au service de la liberté, au service des droits fondamentaux de la personne. Tel est bien le rôle des armées françaises et que nul n'en doute, c'est également la sécurité et la liberté de la France et des Français qui se jouent sur les principaux théâtres extérieurs où sont engagées nos forces armées.

La France est fière de ses armées et de ces soldats, la France est fière de ce qu'elles accomplissent et de ce qu'ils accomplissent en son nom, en Afghanistan.

Il y a huit ans très exactement, le 11 septembre 2001, le terrorisme le plus barbare a frappé New York et Washington, comme jamais il n'avait frappé auparavant. Cette attaque avait été planifiée, décidée depuis l'Afghanistan aux mains des Talibans, où Al Qaïda avait installé ses bases. Et durant ces huit dernières années, d'autres villes ont été martyrisées par les mêmes barbares, Londres, Madrid, Bombay, Kaboul, Islamabad. Partout des innocents tombent, parce que le terrorisme le plus cruel, le plus insensé frappe. Ces barbares des temps modernes ont brisé la vie de milliers d'innocents qui ne demandaient eux aussi qu'à vivre.

En Afghanistan, la France est engagée depuis 2001, elle n'y est pas seule, elle y est sous la plus belle bannière qui soit, celle de l'ONU dans le cadre de l'OTAN, avec la quasi-totalité des autres pays de l'Union européenne, nos amis, nos alliés, avec qui nous partageons tant de valeurs. La France y est pour aider le peuple afghan à retrouver le chemin de la paix, de la sécurité et du développement. La France y est pour que les femmes et les jeunes filles aient accès à l'éducation et à la santé. La France y est pour mettre un terme à la production massive de stupéfiants qui alimente le crime et déstabilise nos sociétés. La France y est pour empêcher les fanatiques d'y rétablir un régime allié à Al Qaïda.

C'est un combat, mes chers compatriotes, contre la barbarie, contre l'obscurantisme, la France poursuivra ce combat au côté de ses alliés. La France poursuivra ce combat, parce que c'est son devoir, .parce que c'est sa responsabilité et je dirais même parce que c'est son honneur. La France n'a pas vocation à rester indéfiniment en Afghanistan.

Mais nous resterons le temps nécessaire à l'avènement d'un Etat Afghan souverain, librement choisi par les Afghans respectueux des droits fondamentaux des personnes, capable de prendre en main son destin sans être une menace pour le reste du monde.

Bien sûr, c'est difficile. Mais qui peut penser que les choix que j'ai à effectuer sont faciles. Bien sûr, les risques sont importants. Nous le voyons encore aujourd'hui. Bien sûr, rien n'est encore acquis. Mais le sacrifice de nos deux jeunes soldats, comme celui des vingt-neuf soldats français qui les ont précédés, comme celui de centaines de soldats alliés, ce sacrifice n'aurait aucun sens si nous laissions le terrorisme, si nous laissions des factions moyenâgeuses et barbares triompher, ce sacrifice n'aurait aucun sens si nous abandonnions le peuple afghan à ceux qu'il faut bien appeler ses bourreaux.

Je suis ici pour rendre hommage à Thomas et à Johan, et au-delà de ces deux magnifiques soldats à tous les valeureux soldats de la France qui ont été tués dans l'accomplissement de leur devoir. Je m'incline devant leur mémoire et leur exemple. A travers eux, je salue l'action de vos camarades qui, chaque jour, remplissent avec courage et dévouement, les missions qui leur sont confiées. Mes pensées vont aussi vers vos huit camarades, blessés au cours de la même attaque, qui souffrent dans leur chair et que je visiterai avec Hervé MORIN, le ministre de la Défense, dans les prochains jours.

Mais cet hommage, il s'adresse aussi aux familles, aux familles qui se trouvent en face de moi. Je sais bien que c'est vous qui supportez tout le poids de la disparition de Thomas et de Johan. Et je n'oublie pas non plus, bien sûr, la famille d'Anthony.

Sergent Thomas ROUSSELLE, caporal-chef Johan NAGUIN, malgré votre jeunesse, vous étiez déjà des soldats que l'on donne en modèle aux plus jeunes. Votre carrière a montré la voie et de nombreux jeunes après vous franchiront encore les portes de ce quartier pour s'inspirer de vos exemples. Car vous êtes des exemples. C'est pourquoi vous avez été promu sergent et caporal-chef, à titre posthume, le jour où vous êtes tombés au champ d'honneur. C'est pourquoi la Croix de la valeur militaire, accompagnée d'une citation à l'ordre de l'armée, et la Médaille Militaire vous ont été décernées. C'est pourquoi, dans quelques instants, je vais vous remettre la Légion d'Honneur.

Vos familles, vos compagnons d'armes, et nous tous, nous sommes fiers de vous et nous tous, nous sommes fiers de l'uniforme que vous portez. Vous avez tous les deux librement choisi votre destin. Vous ne l'avez pas subi, en décidant de mettre vos vies au service de quelque chose de plus grand : la France, son drapeau, ses valeurs et son rôle dans le monde. C'est la vie que vous vouliez. C'est la vie que vous avez choisie. Je vous le dis vos vies ont été courtes mais ce sont deux grandes vies.

Thomas, Johan, nous n'oublierons pas votre sacrifice tout simplement parce que nous n'en avons pas le droit.