Pour la quatrième fois en moins de deux années, le drapeau du Régiment d'Infanterie Chars de Marine foule les pavés de la cour des Invalides.
Comment ne pas reconnaître l'émotion qui nous étreint dans ce lieu chargé de souvenirs et de gloire, qui nous ramène à notre propre histoire. Souvenirs des soldats disparus, gloire des victoires arrachées.
Depuis 1978, depuis presque trente années, le RICM a été de tous les engagements français. Le Tchad, le Liban, la République Centre-Africaine, l'Arabie Saoudite, l'Ex-Yougoslavie, l'Albanie, le Rwanda, la Côte d'Ivoire.
Plus que tout autre, il a payé le lourd prix du sang. Qui visite la crypte du musée des Troupes de Marine ne peut qu'être interdit devant autant de sacrifices par un seul et même régiment.
Comment ne pas se souvenir qu'en 2004, cinq des nôtres sont tombés aux champs d'honneurs et reçurent ici un hommage national.
Ce tribut fut le prix pour la paix dans le monde et la grandeur de la France.
Les combats d'aujourd'hui n'ont plus l'intensité de ceux d'hier ou d'avant-hier. Faits souvent de violences sporadiques et peu prévisibles, ils demandent d'autres qualités, des qualités de professionnalisme, de réversibilité, de maîtrise de la force, d'intelligence de situation. Qui pourrait dire que leur exigence est moindre ? Elle est sans doute résolument différente.
Après la fin de la guerre d'Algérie, les voies de la puissance et de la sécurité de la France ont profondément changé.
En se professionnalisant à partir de 1971, le RICM a pris rang dans ces régiments d'élite forgés par les opérations extérieures. Héritier d'une formidable lignée, il a été marqué par le sceau du destin, n'ayant d'autre chemin que celui de l'excellence. Inspiré et obligé par ce magnifique exemple, il a formé et préparé au combat des milliers de jeunes français. Il a construit avec opiniâtreté une communauté d'hommes aux valeurs profondément partagées, faites de fierté, d'humanisme, de sérieux et de joie de vivre.
Le fluide mystérieux du RICM n'est pas un don donné mais l'entretien par tous d'une exceptionnelle qualité de relations humaines. Il a attiré et retenu les meilleurs qui en ont fait et continueront à en faire le 1er Régiment de France. Il a donné à nos armées des chefs qui assument encore aujourd'hui les plus hautes responsabilités. Il est resté ce régiment prêt aux missions les plus difficiles et attaché à tout réussir.
Du fond de cette cour, puis-je prendre le risque de regarder le RICM dans son histoire et l'histoire des armées de la France et vouloir discerner les voies de son avenir ?
Le Régiment d'Infanterie Coloniale du Maroc fut l'un des plus beaux, voire même le premier, des régiments de la Grande Guerre.
Face à un feu qui tue impitoyablement, il sait rassembler les qualités d'élan permettant d'emporter des positions ennemies déterminantes ou de résister aux plus dangereuses contre-attaques. Les noms de La Marne, Verdun-Douaumont, La Malmaison, Plessis-de-Roye, l'Aisne-l'Ailette, Champagne, Argonne inscrits sur les plis de notre drapeau ne peuvent qu'évoquer un destin si hors du commun.
Pointe de diamant d'une manoeuvre à réinventer, il est de ceux qui ont permis de reprendre l'ascendant et de restaurer l'espoir.
Avec l'invention du char, la guerre est devenue mécanisée et rapide. Le RICM, recréé en 1943, abandonne les habits et les habitudes du fantassin pour ceux de la cavalerie blindée et du combat de son époque. Son agilité, son audace lui valent les premiers rôles. Régiment de reconnaissance dans les batailles de reconquête de la France, ce n'est pas un hasard s'il atteint le Rhin en premier. A la recherche des opportunité;s, il cherche et trouve les failles de la défense adverse, créant les moyens de leurs exploitations. Toulon, Delle et Kehl autant de batailles et de succès où le régiment conjugue raid, saisie dans la profondeur, couverture des gros, combat sur les revers.
S'ajoutent aussi les guerres coloniales : le Maroc, l'Extrême-Orient, l'Afrique du Nord dont le nom est maintenant inscrit sur notre drapeau. En Indochine, le RICM poursuit son destin prodigieux. Face à un Vietminh endivisionné, omniprésent mais insaisissable, les escadrons apportent la mobilité et la force de leurs feux, l'ubiquité de leurs vedettes. Jusqu'à la bataille dramatique de Dien Bien Phu, les éléments dispersés du régiment seront là, déterminés, courageux aux côtés des autres bataillons. Une fois encore, ils trouvent et se forgent une place dans cette guerre nouvelle et révolutionnaire, pour devenir l'indispensable appui à la manoeuvre de l'infanterie.
Vient le RICM d'aujourd'hui, professionnalisé, équipé de matériels de plus en plus protégés et puissants. En se dotant de l'AMX10RC, le RICM prend là, une fois encore, le vent de l'histoire et le prouve lors de l'opération DAGUET. Plus loin, dans les combats pour la paix de ces trente dernières années, les escadrons ont été des instruments de pacification, de dissuasion voire de décision. Les blindés du régiment apportent flexibilité, puissance sans les implications logistiques ou politiques des chars plus lourds.
Ainsi par-delà les années, le Régiment d'Infanterie Chars de Marine est toujours resté une unité clé, ajustée aux formes stratégiques et tactiques de son temps. Comment ne pas être frappé par cette adaptation continue, peut-être plus fortuite que réfléchie, aux évolutions des engagements. Le RICM doit sans doute à cette très grande singularité, d'être aujourd'hui le plus décoré, parce qu'il a toujours été en symbiose avec son temps. Les unités d'élites ne le sont et ne le restent que si elles tiennent une place déterminante dans le succès de la manoeuvre.
Que sera le RICM de demain ? Au-delà de leur cohésion, de leur fraternité, de leur volonté d'excellence, les marsouins du RICM forment un outil de combat très spécifique, développé dans la lente continuité de tous ceux qui l'ont servi et commandé. Plus que les matériels, les hommes font le RICM.
Les marsouins du 4e escadron, présents ce matin, doivent vous paraître des plus uniformes et presque ordinaires au milieu d'une si grande cour. Pourtant, au mois de novembre 2004, je me souviens d'avoir donné l'ordre à une de leurs patrouilles de s'imbriquer au plus profond des combats entre les belligérants. Je ne leur demandais pas moins que de rétablir le contact avec un bataillon blindé engagé en offensive, soutenant son avancée par des tirs de roquettes multiples de 122 mm et des bombes aériennes de 100kg. Nous devions renseigner l'état-major des armées sur la profondeur des violations de la zone de confiance. Les chemins de replis étaient peu nombreux et il m'était difficile de les appuyer en cas de difficultés. Je me revois encore, devant la carte du poste de commandement, étudier leur terrain et envisager ce qu'ils allaient devoir surmonter. Qui a combattu de nuit peut imaginer ce qu'ont pu ressentir ces marsouins isolés sur une piste, au milieu de l'Afrique et d'un affrontement sans merci. Surmontant leur crainte, ils ont mené et réussi cette mission. Avec ce renseignement déterminant, je savais que je pouvais, à tout moment, faire converger les pelotons dilués sur le terrain et attaquer de manière coordonnée.
Cet exemple singulier illustre sans doute la force du RICM d'aujourd'hui, cette capacité à décentraliser le commandement tactique, à se disperser et se concentrer, à se projeter loin et vite, à s'adapter aux changements les plus imprévisibles. Je crois nos escadrons capables de s'enchevêtrer avec l'adversaire pour mieux le perdre, sans ne jamais s'y perdre. Les capitaines, les lieutenants, les adjudants du régiment sont mentalement et intellectuellement prêts pour les combats de demain, pour des combats où une relative transparence du champ de bataille nécessitera cette agilité et cette solidité qui ont toujours été les marques du RICM.
Je ne sais pas à quel point les formes de la guerre sont menacées de rupture et si les batailles pour la paix vont céder la place à des batailles plus symétriques pour la reconnaissance ou les ressources. Je ne sais pas si, par un dévoiement incompréhensible, la modernité ne pourra pas engendrer des hystéries collectives aussi sanglantes que celles du siècle dernier. Quoiqu'il advienne, je forme simplement le voeu que le Régiment d'Infanterie Chars de Marine puisse toujours être la pointe de diamant des combats de demain. Si dans l'avenir il lui est donné un char connecté, puissant mais médian, autonome, les marsouins du RICM seront capables d'inventer ou de réinventer des formes tactiques pour donner l'ascendant à leurs chefs. Comme tout corps vivant, notre régiment doit pouvoir relever le défi de l'évolution, au risque, sinon, de n'exister que dans les livres d'histoire. Les unités d'élites ne le sont et ne le restent que si elles tiennent une place déterminante dans le succès de la manoeuvre.
Comme immanquablement, cette relecture du passé et ce dessin des lignes du futur n'a cessé de rappeler la force de caractère et d'adaptation des hommes du RICM. Plus qu'une toile de fond indéchirable, les marsouins du Régiment d'Infanterie Chars de Marine en forment l'essence, une substance faite d'intelligence et d'humanité, de volonté de parvenir et de continuer, de goût d'être ensemble.
Comment ne pas évoquer notre régiment sans rappeler notre fierté et notre joie d'y servir, de se réjouir d'être rassemblés ici, anciens et jeunes, autour d'un aussi magnifique emblème ?
Comment ne pas conclure sans dire : Que vive la France, le RICM et qu'il reste son 1er régiment ?