Article Alain Hénaff - Photos Alain Hénaff - Gérard Roussel
Le cycle des commémorations quinquennales a conduit cette année le RICM et ses Anciens sur les traces des prestigieux marsouins de la Grande Guerre. Il s'agissait, plus particulièrement, de mettre à l'honneur ceux qui reprirent le fort de Douaumont le 24 octobre 1916, offrant ainsi au Régiment une troisième citation et la Légion d'Honneur; en le plaçant également pour toujours sur le difficile et contraignant chemin de l'excellence et de la gloire. Par ailleurs, la proximité de Bazeilles rendait incontournable un déplacement vers ce haut-lieu de l'infanterie de marine où nous ont accueillis les marsouins du cru.
Ainsi du vendredi soir au dimanche après-midi, en présence du drapeau chargé d'histoire, le général Jean-Gabriel Collignon, président national, et le colonel Marc Conruyt, chef de corps, ont conduit leurs troupes dans un coude à coude favorisant, une fois encore, l'indispensable échange inter-générationnel. Une seule ombre au tableau dans ce qui restera un remarquable souvenir pour tous : la trop faible participation des Anciens !
Le plateau de Douaumont est enveloppé d'un léger brouillard depuis quelques heures déjà lorsque les Anciens se retrouvent sur l'emplacement boisé, désert et silencieux du village détruit de Douaumont. Difficile d'imaginer que ces lieux furent un jour plein de vie.
Arrive également le colonel Marc Conruyt, accompagné du capitaine Christophe Larue (OSA), du caporal-chef Camille Thocquenne (PEVAT) et du père Génouville, aumonier du Régiment. Le capitaine Cédric Lhuile, commandant l'ECL, et une délégation de son unité, sont également présents.
Madame Marie-Claude Minmeister, le maire de Douaumont, et quelques-uns de ses administrés se joignent aux marsouins.
En cette fin d'après-midi automnale, la cérémonie, présentée en quelques mots par le capitaine Larue, est consacrée à la réalisation d'un jumelage entre le village de Douaumont et le RICM. Une plaque, fixée sur la stèle symbolisant le village détruit, illustrera cette démarche volontariste et le nouveau lien ainsi créé.
Le colonel Conruyt prend la parole pour expliquer le sens de la démarche du jumelage et rappeler ce que représente Douaumont pour les marsouins du RICM. Dans son intervention, madame Minmeister, évoque le village de Douaumont d'avant la déclaration de guerre et les raisons impérieuses qui conduisirent à ne pas autoriser la reconstruction et le retour de la population évacuée lorsque la guerre prit fin.
Tous deux dévoilent ensuite la plaque mentionnant le sacrifice des coloniaux du RICM avant de procéder à la signature des actes de jumelage. Le général Collignon, comme président de l'ANA RICM, est associé à cette signature.
Après cette brève cérémonie, Anciens et Jeunes redescendent vers le mess du quartier du 1er Régiment de Chasseurs stationné à Thierville-sur-Meuse, à proximité de Verdun. Il s'agit de se remettre en condition pour la soirée qui s'annonce.
Il est 20:30 lorsque l'ensemble des participants rejoint le parking de l'Ossuaire d'où partira dans quelques minutes la retraite aux flambeaux.
Au moment de cette veillée d'armes tournée vers ceux qui, au matin du 24 octobre 1916, montèrent à l'assaut pour reprendre le fort, il serait indécent de se plaindre des conditions atmosphériques ! Oui, le mercure annonce une température négative ! Oui, il y a du brouillard ! Et alors ?
Marsouins... en avant !
Au son du tambour qui précède le cortège silencieux, encadré par les hommes de l'ECL portant des torchères, Anciens et Jeunes se dirigent maintenant vers le fort qu'ils atteindront dans une trentaine de minutes.
Difficile de deviner la masse sombre de l'édifice, aujourd'hui inoffensif, avant d'en arriver au plus près; mais il est bien là. Comme sont également sur place déjà les porte-drapeaux locaux et tous ceux que l'âge ou les aléas de la vie ont rendu moins mobiles.
Très rapidement, le capitaine Larue met en place le dispositif qui permettra le bon déroulement d'une cérémonie au caractère intimiste. Auprès du clairon et du tambour de la musique de la 9e BLBima, l'adjudant Philippe Mathé aligne son piquet d'honneur. En face, accompagnant le drapeau de l'ANA RICM porté par Jean-Pierre Pré, s'alignent les drapeaux locaux de la Légion d'Honneur, de la Médaille Militaire, des coloniaux et marins de Verdun et aussi des harkis, auxquels s'ajoute même un emblème américain.
A la lumière d"une torchère, le général Collignon retrace maintenant l'héroïque mais non moins sanglant combat qui deviendra le premier dans l'histoire du Régiment qui, dès cette année 1916, est d'emblée perçu comme un régiment d'élite.
Après le dépôt des gerbes par le général Collignon, le colonel Conruyt et le président des coloniaux et marins de Verdun, clairon et tambour enchaînent pour une émouvante sonnerie aux Morts. La minute de silence s'achève par une Marseillaise chantée à pleins poumons par l'ensemble des participants.
Pour compléter cette soirée du souvenir, la visite du fort permet à tous de se faire une idée de ce que pouvait être la vie de la garnison mais aussi de l'effort particulier qui avait été demandé aux marsouins du RICM pour investir un tel ouvrage.
Les derniers éléments quittent Douaumont après 22:30. Il faut redescendre vers les différents lieux d'hébergement. Rendez-vous est pris pour le lendemain matin à la chapelle de l'Ossuaire.
Très prudemment, les Anciens ont rejoint le plateau de Douaumont enveloppé, ce matin encore, par un brouillard tenace qui ne se dissipera qu'en fin de matinée.
Pour débuter cette journée plutôt chargée, c'est à un moment de recueillement par la prière ou la méditation que sont conviés tous les participants. La concélébration de l'office est réalisée par les Pères Dehan (ancien aumonier du RICM), Génouville (l'aumonier actuel) et l'ancien vicaire de Douaumont, aujourd'hui retraité. Croyant ou pas, ce passage délibéré par la chapelle demeure un moment privilégié de questionnement et l'occasion de se souvenir, dans la sérénité du lieu. Pour l'heure, les pensées se tournent, entre autres, vers tous ceux qui ont donné leur vie pour la France et ses valeurs : hier à Douaumont, aujourd'hui en Afghanistan.
L'office religieux terminé, il faut rejoindre le fort où doit se dérouler la cérémonie militaire. Contrairement à ce qui était prévu, celle-ci ne sera pas honorée par la présence du secrétaire d'état auprès du ministre de la Défense du fait des mauvaises conditions climatiques perturbant son déplacement.
Sur place, Anciens et marsouins du RICM retrouvent une poignée de marsouins locaux et les dix drapeaux présents dont celui de l'ANA RICM, porté par Jean-Pierre Pré, et de la 1ère Section, porté par Christian Lelorrain.
Infatiguable maître de cérémonie, le capitaine Christophe Larue met en place le dispositif devant le fort, sur l'esplanade dominée par la plaque commémorative rappelant le fait d'arme du RICM et des autres unités ayant participé à cette action d'éclat. Le capitaine Lhuile commande le détachement de l'ECL sous les armes, avec deux pelotons aux ordres des adjudants Garnier et Mathé.
11:00. Le drapeau du RICM et sa garde viennent se placer au centre du dispositif pour les honneurs. Aujourd'hui, pour sa dernière cérémonie militaire de cadre d'active, c'est au major Marc Bylicki que revient l'insigne privilège d'accueillir l'emblème puis de présenter l'ensemble des troupes au colonel Marc Conruyt, le chef de corps.
Émergeant presque du brouilard, autorités civiles et militaires arrivent ensuite et reçoivent le salut du colonel Conruyt. Ce matin, c'est le général de corps d'armée Pascal Péran, commandant de la région Terre nord-est et gouverneur militaire de Metz, qui présidera cette cérémonie. Après le salut au drapeau et la Marseillaise, il passe en revue le détachement du RICM.
Sans sa garde, le drapeau porté par l'adjudant-chef Philippe Rizzo vient se placer au centre du dispositif. L'adjudant Tom Freitas s'avance également et se place devant le drapeau. "Ouvrez le ban" ! Le général Péran épingle la Croix de la Valeur Militaire sur la poitrine du sous-officier qui a été cité à l'ordre de la division pour son action et son comportement en Afghanistan, lors de l'attaque qui a coûté la vie au caporal-chef Hervé Guinaud. Le général lit le texte de la citation.
Le général Péran communique ensuite la lettre du secrétaire d'état auprès du ministre de la Défense.
C'est maintenant au tour du général Collignon de prendre la parole pour décrire le contexte et les conditions dans lesquelles le RICM fut engagé et reprit le fort de Douaumont. Poursuivant avec la lecture de l'ordre du jour du général Nivelle au groupement Mangin, rédigé après cette victoire, il souligne que « la plus belle récompense des marsouins du Maroc sera la Légion d'Honneur et la Croix de guerre avec palme qui seront accrochées à leur Drapeau le 6 novembre par le Président Poincarré ». Enfin, pour conclure, il s'adresse directement à ceux qui servent au Régiment de nos jours : « La flamme qui anime aujourd'hui les Marsouins du RICM vient de ces Anciens qui avaient su se fondre dans une unité soudée, pour laquelle seul le résultat comptait. Jeunes du RICM, souvenez-vous de vos Anciens et ne faillissez jamais. Ils vous ont confié un héritage de gloire et de sacrifices, à nul autre pareil. Il est maintenant entre vos mains. Nous savons que nous pouvons vous faire confiance mais dans les difficultés, pensez à eux ! ».
Avant la sonnerie aux Morts, la minute de silence et l'Hymne national, plusieurs gerbes sont déposées sous la plaque commémorative : celle du RICM, par le colonel Conruyt, celle de l'ANA par le général Collignon et le major Bylicki et celle des autorités par monsieur François Beyries, sous-préfet de Verdun, et le général Péran.
Après les remerciements d'usage aux drapeaux, autorités civiles et militaires effectuent une visite du fort pendant que tous ceux du RICM se dirigent vers la mairie de Verdun où ils doivent être reçus.
Le salon d'honneur de la Mairie de Verdun est comble; occupé principalement par tous ceux qui participent à ces commémorations quinquennales. Avant l'arrivée des autorités, il a été possible de visiter les salles qui contiennent des souvenirs liés à cette Bataille dont la ville et ses habitants, eux aussi, ont eu à souffrir, contrairement aux idées reçues. Bien évidemment, le marsouin un peu chauvin aura trouvé en ces lieux, et en bonne place, le buste du général Mangin, grand colonial et commandant en chef de l'offensive victorieuse sur Douaumont.
C'est monsieur Daniel Henry, conseiller municipal, général de gendarmerie en 2e section et président de l'association nationale du souvenir de la Bataille de Verdun, qui accueille les visiteurs du jour. Après sa fraternelle et sympathique allocution, prenant à son tour la parole, le général Collignon, le remercie chaleureusement de l'intérêt porté au RICM par la ville de Verdun et de cette généreuse réception au coeur de la cité; en gage de reconnaissance, il lui remet le dernier historique du Régiment.
Changement d'ambiance avec le repas partagé entre les Anciens, le détachement du RICM et les coloniaux locaux, plutôt discrets. L'heure est à la détente ! Cependant, afin de respecter le protocole traditionnel de nos réunions, le général Collignon réclamera encore quelques minutes d'attention, le temps de récompenser deux membres de l'ANA : le père Didier-Michel Dehan, ancien aumonier du RICM et le colonel Raymond Schmit, ancien d'AFN (cf. page Tableau d'honneur). Le sergent R. Majeri peut maintenant tenter de lancer "la poussière" ! Exercice ô combien périlleux ! Comme il est 14:00 passés et que les appétits sont plus qu'aiguisés, la "foule" se montre magnanime... Res-pec-tez l'ar-mée colo-nia-ale... ! Bon appétit !
L'harmonie règne; pour chaque table, un panachage entre Jeunes et Anciens (moins nombreux) a été réalisé et les chants ne manquent pas pour agrémenter cet après-midi convivial et chaleureux.
Vers 16:00, avec un hymne tonitruant s'achève le volet "Douaumont" de cette fin de semaine bien remplie. Le détachement du RICM rejoint son lieu d'hébergement à Étain, certains Anciens terminent ici leur participation, les autres se dirigent sans précipitation vers Bazeilles.
C'est dans une cossue et charmante hostellerie de Bazeilles que se retrouvera une vingtaine de convives - Anciens et épouses - pour passer cette dernière soirée du voyage. A défaut d'être nombreux, les Anciens présents ne manquent pas de joie de vivre et savent le montrer. Ce dîner commun apparaîtra donc comme un excellent moment de détente et de convivialité.
Aujourd'hui est un grand jour ! Comment pourrait-il en être autrement en cette ville de Bazeilles si chère au cœur des coloniaux ? Et pourtant ? De quel grand jour s'agit-il ? C'est bien évidemment celui pour lequel Anciens et Jeunes réunis ont envahi cafés, bistrots et autres troquets de la localité, non pour s'adonner de si bon matin au culte de Bacchus... mais bien pour rester pendant 80 minutes les yeux fixés sur les écrans de télévision, le cœur palpitant !!!
Aux antipodes, à des milliers de kilomètres, l'équipe de France de rugby affronte les All Blacks ! Finale de coupe du monde ! La Nation retient son souffle. Au coup de sifflet final, il manquera un point, un malheureux point !
Il est, paraît-il, des défaites plus glorieuses que des victoires facilement acquises ! A quelques minutes de célébrer, ici même à Bazeilles, nos coloniaux de 1870, on ne peut s'empêcher d'établir une comparaison. La France impériale perdait la guerre mais l'infanterie de marine y gagnait une réputation définitive pour avoir combattu jusqu'au bout de ses moyens et de ses forces.
Celui dont les marsouins se réclament avec enthousiasme, tout miséricordieux, leur pardonnera sans aucun doute d'avoir ainsi "déserté" l'office religieux... pour une juste cause nationale !
Il faut maintenant revenir au moment présent et se mettre en place devant le monument élevé à la gloire de l'infanterie de marine mais également en mémoire des habitants de Bazeilles tués au cours des combats des 31 août et 1er septembre 1870.
Rodés à l'exercice, nos marsouins forment rapidement les rangs. Immuable, le cérémonial se déroule de manière parfaite sous un magnifique ciel bleu. Le général Collignon prononce une brève allocution dans laquelle il rappelle, entre autre, les valeurs propres à notre Arme. Dépôt de gerbes par le colonel Conruyt, par le général Collignon et par Jean-Claude Nguyen et Guy Poncelet, respectivement président et secrétaire de l'amicale des Troupes de marine des Ardennes.
Après cette dernière cérémonie intimiste, sans élus locaux ni renfort de population, c'est à la "Maison de la dernière cartouche" que se retrouvent tous les marsouins. Plus exactement, sur l'emprise de l'amicale des Troupes de marine des Ardennes. Dire que nos camarades sont plutôt bien installés est une affirmation manquant de force. Dire que beaucoup d'associations peuvent leur envier le cadre dans lequel ils nous reçoivent aujourd'hui correspond davantage à la réalité. Sachant par ailleurs qu'ils ne doivent ce cadre qu'à leur engagement, à leur ingéniosité et à la sueur de leur front. Pour compléter ce tableau sans flagornerie, il convient de souligner la qualité de l'accueil et le dévouement qu'ils manifestent en véritables frères d'arme. Et leurs épouses, transformées en cantinières d'un jour ne doivent pas être oubliées dans ces chaleureux et sincères remerciements que les Anciens de l'ANA RICM leur adressent de nouveau par l'intermédiaire de cet article.
Bref, il y a un souffle, il y a une âme en ces lieux... et il n'est pas impossible que certains, à l'avenir y trouvent davantage d'authenticité et de fraternité qu'à Fréjus pour y célébrer la gloire de la Marsouille !
Pour l'heure, et avant de prendre le pot de l'amitié, il s'agit de "faire la coutume". Le président Jean-Claude Nguyen prononce quelques mots de bienvenue auxquels le général Collignon répond par des remerciements appuyés. Échange de souvenirs avec le colonel Conruyt. Après le pot, chacun trouve la place qui lui convient pour passer le repas dans les meilleures conditions. Le moment est festif et décontracté comme il se doit.
Vers 15:00, afin de permettre aux marsouins et aux Anciens qui le souhaitent une visite de la Maison Bourgerie et de l'Ossuaire, l'hymne retentit une fois de plus sur cette terre chargée d'histoire.
Ainsi se terminent ces trois journées quinquennales, principalement consacrées à la reprise du fort de Douaumont. Trois journées denses, riches en souvenirs divers et en rencontres, parfaitement organisées à la grande satisfaction de tous. Avec un seul regret, mais de taille : la singulière défection, en nombre, des Anciens.
A l'occasion de ce voyage dans l'espace et le temps, les Anciens ont eu le plaisir de faire connaissance avec Jacques Lajoie, surnommé le matelot, venu tout spécialement d'Allemagne où il réside pour renouer avec son régiment perdu de vue depuis 55 ans !
Notre camarade est un ancien du 3e peloton (ltn Poulet) de l'escadron de vedettes (cne Lébé) où il fut affecté en février 1952. Détaché en juin 1954 à la 5e compagnie fluviale vietnamienne, il est ensuite affecté - comme pilote d'AM8 - au 2e escadron stationné à Hanoï et sera le dernier à franchir le pont Doumer avec son blindé lors du repli français.
Bienvenu chez les Anciens, le matelot !