Le commandant Rougier ne nous a pas vraiment quittés. Lui qui fut si souvent et si longtemps près des marsouins du RICM est encore présent dans l'esprit et le cœur de tous ceux qui l'ont rencontré un jour. Et ils sont encore légions ! Et ils évoquent encore son souvenir ! Le visiteur occasionnel ou le jeune engagé descendant pour la première fois dans la crypte du régiment ne peut éviter ou ignorer cette figure emblématique. Et son message écrit, intemporel, s'affiche en ce lieu de recueillement tel un commandement divin.
Du fait de sa longévité exceptionnelle, il fut pour tous LE grand témoin d'une guerre effroyable au cours de laquelle le régiment perdit plus d'hommes que tout autre. Mais il fut bien davantage encore en évoquant cette mystique du régiment... son rôle de Passeur ne peut être ignoré !
Car le commandant Rougier ne racontait pas sa guerre, ses combats dans les tranchées ou dans la Résistance. Seuls lui importaient les hommes du RICM, du passé, du présent et du futur, traversés par un fluide mystérieux, éclairés ou guidés par une flamme jamais éteinte...
En décembre 1914, Nicolas Rougier est appelé au 8e RIC à Toulon. La période d’instruction terminée, il reçoit le baptême du feu lors des combats de Champagne.
En septembre 1916, il part pour l’Armée d’Orient. En février 1917, il suit les cours d’élèves-aspirants. Nommé six mois plus tard, il rejoint le RICM et participe à toutes les batailles livrées par ce régiment, notamment à La Malmaison (novembre 1917), à Plessis-de-Roye (mars 1918) qui stoppe l’offensive allemande, à Parcy-Tigny (juillet 1918) où il est témoin de la blessure mortelle du légendaire capitaine Van Vollenhoven.
En 1921, pour convenances personnelles, il quitte l’armée. Il adhère à des associations d’anciens combattants coloniaux, dont la nôtre créée en 1930.
Il effectue régulièrement des périodes de perfectionnement d’officier de réserve jusqu’en 1939. Il est alors rappelé comme capitaine adjudant-major au 4e RTS (Armée des Alpes).
En mai 1940, il part pour Dakar procéder au recrutement des tirailleurs sénégalais. L’armistice signé, il rentre en métropole en fin d’année.
Début 1941, il prend contact avec quelques anciens du RICM, qui sous couvert d’activités commerciales diverses, sont en rapport avec la résistance. Membre du réseau MITHRIDATE et des FFI d’auvergne, il est nommé à l’automne 1941, chef du 101e groupement de travailleurs étrangers. Son activité qui s’étend sur quatre départements (Allier, Haute-Loire, Puy-de-Dôme et Cantal) lui permet d’organiser le passage clandestin de nombreux officiers, sous-officiers et spécialistes belges, hollandais, luxembourgeois et polonais. Il constitue des unités de combat à base de républicains espagnols, camoufle des personnes recherchées par la milice et condamnées à mort, lutte contre le STO, délivre un grand nombre de fausses pièces d’identité et sauve de cette façon plus de 200 personnes de la déportation.
De la libération à la capitulation allemande, il se consacre à la constitution de bataillons étrangers issus des groupements de travailleurs. A l’automne 1945, il dirige la mission ROCCA de rapatriement et de tri des personnes déplacées — tel était le nom donné aux déportés et internés apatrides ou sans nationalité connue.
En 1947, il arrive à Paris pour occuper de hautes fonctions au ministère du travail puis à l’office national d’immigration jusqu’en 1950.
Commence alors la grande période du bénévolat. Chargé d’un poste important à la fédération nationale des anciens des troupes de marine, il est nommé secrétaire de notre association en 1954 avant d’en devenir son président 4 ans plus tard. Depuis il ne cesse d’en augmenter le rayonnement et de resserrer les liens avec le corps actif un peu relâchés pendant que celui-ci guerroyait en Indochine et en Algérie.
En janvier 1963, il assiste à Port-Vendre au retour du régiment en France. Par de fréquentes visites au quartier Delestraint, par des contacts très étroits avec la troupe, il acquiert auprès des cadres et des personnels qui se succèdent au régiment, notamment les hommes du rang, une très grande popularité faite de respect et d’admiration. Notre président n’a jamais oublié ceux qui sont morts sous les plis de notre glorieux drapeau. Pour perpétuer leur mémoire, il s’est fait bâtisseur. Les témoins en sont les monuments érigés sur les lieux de grandes batailles du RICM : au Mont-de-Choisy, Cuts, Plessis-de-Roye, Parcy-Tigny, Châteauneuf-en-Thimerais, La Nartelle et Seppois-le-Bas.
Mais l’âge et un regrettable accident sont venus l’handicaper et limiter ses déplacements. Il continue de se rendre à Vannes lors des prises d’armes, mais aussi pour encourager les jeunes quand les nécessités du service les envoient sur des champs de bataille extérieurs où sont livrés des combats différents de ceux qu’il a connus mais tout aussi périlleux.
Il est fondateur de l’UFACEF qui a pour vocation l’aide et assistance à nos vaillants tirailleurs africains et malgaches.
Le commandant Rougier a consacré quatre-vingts années de sa vie au service de la Patrie, de la Coloniale et de son cher RICM.
dans la cour des Invalides, le 12 décembre 1996, lors des obsèques du commandant Rougier
Ce jour que nous redoutions tous est arrivé : la loi de la nature vous a séparé de votre cher RICM. Mais connaissant votre Foi, c'est certainement pour mieux le retrouver que vous avez rejoint là-haut ceux qui ont été vos frères d'arme. Car des frères d'armes vous en avez eu beaucoup, au cours de votre carrière militaire et de votre vie civile.
Pour des raisons de santé, vous ne pouvez commencer la guerre 14-18 comme saint-cyrien. Mais dès le départ, votre vocation coloniale s'affirme sous le drapeau du 8e Colonial, en France et en Orient.
Simple soldat puis caporal, vous serez blessé en Champagne et cité. Votre bravoure et votre intelligence sont déjà remarquées.
En 1917, vous êtes admis à suivre le cours des élèves-aspirants à Saint-Cyr et à l'issue, vous rejoignez le Régiment d'Infanterie Coloniale du Maroc.
Cette affectation marquera votre vie d'un sceau indélébile.
Avec le RICM, comme jeune sous-officier puis aspirant et sous-lieutenant, vous participez à ces combats de légende que sont : La Malmaison, Plessis-de-Roye et Parcy-Tigny.
Vous obtenez trois citations et êtes blessé trois fois. Vos chefs font état de votre bravoure, de votre énergie, de votre calme et de votre sang-froid. Vous étiez bien dans la ligne des officiers appelés à servir au RICM.
Revenu à la vie civile en 1920, vous n'en poursuivez pas moins votre instruction militaire puisque vous suivez des périodes y compris au RICM et vous militez avec les anciens combattants coloniaux.
Lorsque la guerre éclate en 1939, vous êtes capitaine d'infanterie coloniale. Affecté au 4e Régiment de Tirailleurs Sénégalais, à l'Armée des Alpes. Vous partez en mai 1940 pour l'AOF, recruter des tirailleurs sénégalais. L'armistice vous surprend à Dakar et vous rentrez en métropole.
Si vous n'avez pas participé aux combats de 1940, l'amour de votre pays et les qualités que vos chefs vous ont reconnues, vous lancent dans la résistance. C'est avec des Anciens du RICM, avec lesquels vous avez toujours gardé le contact que vous commencez votre action. Vous y mettrez la bravoure, l'audace, l'intelligence et le sang-froid du jeune sous-lieutenant du RICM. De nombreux étrangers, Polonais, Belges, Luxembourgeois et Hollandais, mais aussi des Français patriotes, des Israélites vous doivent la vie. Avec des républicains espagnols, vous constituez des unités de combat en Auvergne. Toutes ces actions, vous font rechercher par la Gestapo et vous obligent à prendre vous-même le maquis où vos qualités militaires font merveille. Ces actions, vous vaudront quatre citations et une promotion au grade d'officier de la Légion d'Honneur.
En 1950, vous quittez ce que l'on appelle la vie active, comme si votre retraite pouvait être inactive !
Le général Nyo vous prend comme secrétaire général à la Fédération nationale des Anciens des Troupes de Marine et en 1954 vous voilà secrétaire général de l'Association des Anciens du RICM.
Comme vous n'êtes pas assez occupé vous fondez l'Union fraternelle des ancien combattants d'expression française pour venir en aide aux anciens tirailleurs africains et malgaches.
En mai 1958, les anciens du RICM font de vous leur président et vous allez déployer une activité remarquable pour le maintien du souvenir dû au RICM et pour faire connaître le passé de notre glorieux régiment aux jeunes du corps actif.
Vous vous faites alors bâtisseur et jalonnez la France de monuments à la gloire du RICM : Mont-de-Choisy — Cuts — Plessis-de-Roye — Parcy-Tigny — Chateauneuf-en-Thymerais — La Nartelle et Seppois-le-Bas.
Le RICM est votre vie et vous y puisez une énergie et un enthousiasme sans limite. Cela est tellement contagieux que les jeunes du RICM, vos jeunes, vous portent une affection sans borne. Il aura fallu un accident stupide, conséquence de votre acharnement à revenir à Paris pour vous occuper de vos chers tirailleurs, pour que vos 4 jours à Vannes deviennent plus courts et moins fréquents. Mais chaque fois que vous pourrez vous y rendre, c'est une véritable cure de jouvence dont les effets, malheureusement, seront moins durables.
Je me souviens, néanmoins, de votre énergie et de votre volonté lorsque vous serez élevé à la dignité de grand-officier de l'Ordre National du Mérite. Malgré vos 93 ans et la faiblesse de vos jambes, votre garde-à-vous sera impeccable.
Mon commandant, le terme de votre vie au service du RICM est arrivé. Nous voilà tous autour de vous pour vous rendre hommage et dire au revoir au père que vous avez été pour chacun d'entre nous. Soyez sans crainte, votre message a bien été reçu et chacun d'entre nous, jeune ou moins jeune, saura maintenir la tradition et contribuera à faire du RICM, un régiment à part comme vous aimiez à le dire. Continuez à veiller sur vos jeunes de Là-Haut. Les missions du RICM ne sont pas terminées et le RICM aura besoin, encore longtemps, de votre enthousiasme et de votre intelligence.
Merci, mon Commandant, de votre exemple. Soyez en paix...